Et si Alpine n’était plus tout à fait Alpine ?
Présentée à Dieppe en ouverture des festivités pour les 70 ans de la marque fondée par Jean Rédélé, la nouvelle Alpine A390 a surpris bon nombre d’observateurs et occasionné de nombreux commentaires et débats enflammés entre passionnés et amateurs de la marque au A fléché !
Évoluer pour ne pas disparaître ! Telle est la vision donnée à Alpine par les dirigeants du Groupe Renault, pour éviter à la mythique marque dieppoise fondée il y a 70 ans, de sombrer dans l’anonymat voire de disparaître purement et simplement. L’exercice est ô combien difficile par les temps actuels, coincé entre une révolution électrique imposée et l’arrivée de concurrents chinois aux dents très longues.
Pour Alpine, le constat est vite fait : il faut augmenter le portfolio et trouver de nouveaux clients sans changer l’image de marque sportive engagée à la fois en Formule 1 et en Championnat du Monde d’Endurance. Et pour aider l’iconique Alpine A110 à préserver l’image, les dirigeants ont, dans un premier temps, développé une nouvelle « R5 Alpine », l’A290, cousine énervée de la nouvelle Renault 5 électrique. Le deuxième étage de la fusée Alpine, présenté lors du dernier Mondial de l’auto sous la forme d’un concept, préfigurait donc cette nouvelle A390.
Ballerine ascendant Sumo
Autant le dire tout de suite, les commentaires de comptoirs, aujourd’hui remplacés par les réseaux sociaux, ont généré des milliers de posts, pas tous à l’avantage de l’A390 ! Mais pourquoi ce déchainement sur un modèle qui n’est pas censé toucher tout le monde ? Simplement par la passion qui tourne autour de la marque française ! De ses exploits en rallyes aux modèles mythiques désormais adulés par les collectionneurs, de l’engagement en Formule 1 aux espoirs de victoire aux 24 Heures du Mans, tout ce qui touche à la marque dieppoise ne laisse indifférent ! Un peu comme si Alpine était en quelque sorte devenu le Ferrari Français !
Mais alors, qu’est-ce qui cristallise autant sur cette A390 ? Le poids de la bête ! Pour tous les passionnés, une Alpine qui affiche sur la balance plus de 2,1 tonnes à vide est une hérésie ! Imaginez qu’avec la famille et les bagages, les 2,5 tonnes sont dépassées ! Sans oublier que ce nouveau modèle est de surcroit comme l’A290, 100% électrique !
Cette masse est le point noir pointé du doigt par tous les amateurs de sportivité. Mais comment Alpine a transformé sa gracieuse ballerine en sumo, ces légendaires combattants japonais qui se servent de leur poids pour faire sortir d’un cercle leur adversaire ? D’abord, par la carrosserie ! D’un gracile coupé 2 places pour l’A110, on est passé à une berline aux airs de coupé capable d’accueillir 5 personnes et leurs bagages. Ensuite, par la taille ! Pour loger tout ce petit monde, les créateurs de l’A390 ont poussé l’empattement à 2,708 mètres pour une longueur de 4,615 m, soit respectivement 28 et 43 centimètres de plus que l’A110 ! Enfin, par la technologie choisie : un pack de batteries de 89 kWh associé à trois moteurs électriques, un à l’avant et deux à l’arrière.
Voilà donc cette nouvelle génération d’Alpine, condamnée à une prise de poids aux antipodes de sa philosophie ! Le poids, c’est l’enemi aimait à répéter Colin Chapman le créateur de Lotus ! Il avait raison à son époque. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?
Un éléphant, ça trompe énormément !
Je vais être honnête avec vous, je n’ai aucun doute sur les qualités routières de cette A390 ! Encore moins sur ses capacités à donner du plaisir à son conducteur ! Les ingénieurs en charge du projet, sous la coupe de Philippe Krief le CEO d’Alpine et père de la plateforme Giorgio sur laquelle repose l’Alfa Romeo Giulia, se sont clairement acharnés à doter l’A390 des qualités que doit présenter une Alpine et ce malgré les contraintes évoquées plus haut.
L’Alpine A390 adopte une architecture originale avec trois moteurs, lui offrant une traction intégrale avec une typologie proche de l’esprit d’une propulsion : un moteur avant à rotor bobiné et à l’arrière, deux moteurs synchrones à aimants permanents entièrement spécifiques, chacun dédié à une roue. Ces derniers permettent l’action de l’Alpine Active Torque Vectoring, solution brevetée unique et fruit d’un immense travail de mise au point de la part des pilotes d’essais et des ingénieurs Alpine. Ces moteurs sont tous trois fabriqués dans la manufacture Ampere de Cléon.
Les deux moteurs arrière offrent un contrôle indépendant de chaque roue, ce qui permet la mise en œuvre de l’Alpine Active Torque Vectoring. Ce système de variation active de couple repose sur une différence d’efforts longitudinaux entre les deux roues du même essieu arrière, notamment en donnant plus de couple à l’extérieur : il en résulte un couple de lacet naturel autour de l’axe vertical du véhicule. Résultat, cela permet de rajouter un dynamisme et une agilité hors pair, gommant partiellement l’inertie liée à la taille et au poids de l’A390.
Plus précisément, il génère une différentiation de la répartition du couple aux roues arrière en fonction de l’angle au volant, de la vitesse du véhicule, corrigeant l’écart de glissement de la roue droite par rapport à la roue gauche et ajustant le couple aux roues arrière droite et gauche afin de corriger la moindre tendance sous-vireuse ou survireuse. Cette différentiation est effective en phase de prise de gaz, en virage et en ligne droite. L’Alpine Active Torque Vectoring agit de manière ultra-réactive, de l’ordre du millième de seconde.
La clé est la répartition du couple entre les 3 moteurs : global avant/arrière, puis arrière gauche/arrière droit. Le travail dynamique de l’Alpine Active Torque Vectoring est complété par la gestion en amont du couple pour garantir la motricité de l’A390, le couple culminant à 808 Nm. Le conducteur dispose de cinq modes de conduite à choisir depuis un bouton dédié au volant : Save, Normal, Sport, Perso et un nouveau mode Track. Les modes Normal, Sport et Track incluent des réglages d’Alpine Active Torque Vectoring, ESC et de contrôle de traction différents. Il est possible aussi de désactiver totalement le contrôle électronique de la stabilité ESC via un bouton dédié sur la planche de bord.
Des dessous chics
L’Alpine A390 inaugure une batterie avec une chimie hautes performances made in France (cellules et modules) spécifiquement développée pour Alpine par le spécialiste français Verkor : une première ! Le cahier des charges pour le développement de cette batterie était particulièrement exigeant. Il lui fallait garantir une puissance en décharge maximisée pour la traction. Elle devait aussi permettre de reproduire plusieurs fois à la suite ces mêmes prestations, qui restent toujours au même niveau au fur et à mesure que la batterie se vide. Pour cela, Verkor a repensé toute l’architecture de sa batterie 400 V avec un système de refroidissement spécifiquement dimensionné (notamment grâce à un débit d’eau plus important) et une chimie NMC à haute quantité de nickel et haute densité énergétique.
Grâce à sa batterie offrant une capacité généreuse de 89 kWh utiles, l’A390 offre une autonomie jusqu’à 555 km avec des roues de 20’’ et jusqu’à 520 km avec des roues de 21’’. Une pompe à chaleur est incluse dès le premier niveau de finition, permettant d’optimiser la température de l’habitacle et de préserver l’autonomie.
La recharge rapide DC peut atteindre 190 kW mais, plus que la puissance, c’est la capacité de maintenir une puissance élevée de charge pendant longtemps qui prime, demandant beaucoup d’intelligence dans la gestion de la recharge. C’est ce que réussit la batterie de l’A390 avec une excellente puissance de charge moyenne. Cela lui permet de proposer une recharge en moins de 20 minutes pour récupérer 2 h de trajet sur autoroute et passer de 15 à 80 % de charge en moins de 25 minutes.
On peut juste regretter que cette Alpine s’appuie sur la plateforme du Renault Scenic E-Tech et qu’elle n’ait pas développé sa propre plateforme avec une technologie plus moderne comme le font aujourd’hui les concurrents chinois de haut de gamme. Une architecture à 800 V eut été la bienvenue pour rivaliser avec les meilleurs. Mais, à son avantage, l’A390 propose la technologie de recharge bi-directionnelle V2G et V2L qui permettent de renvoyer du courant vers la maison ou vers un objet à batterie type vélo pour le recharger.
Grand Tourisme Électrique « à la French »
Pour avaler des kilomètres dans un véhicule de Grand Tourisme, il faut être parfaitement installé, au volant comme en étant passager, y compris à l’arrière. L’habitacle de cette GTE (Grand Tourisme Électrique) semble bien né. Les sièges avant, que ce soit ceux de la version GT ou les Sabelt de la GTS, offrent maintien et confort pour les longs trajets mais également ils semblent adaptés à une conduite plus dynamique. Électriques et chauffants sur la version GT, ils sont en cuir Nappa, chauffants et massant sur la GTS. Visuellement, l’habitacle présente tous les codes du haut de gamme avec un ciel de toit en microfibre, des surpiqures apparentes sur les sièges mais également sur les contreportes et la planche de bord. L’ambiance audio est signée du constructeur français Devialet qui a créé un environnement acoustique spécifique avec pas moins de 13 haut-parleurs.
Le conducteur a face à lui un volant en cuir avec une jante épaisse et un méplat inférieur. Il devance une dalle numérique de 12,3 pouces et un écran vertical de 12 pouces. Cette planche de bord est en fait empruntée au Renault Scenic. Même si les graphismes sont spécifiques à Alpine, idem pour l’interface, on aurait aimé disposer d’une touche un peu plus distinctive. La filiation est trop proche mais elle s’explique par la politique d’achats au sein d’un même Groupe. En haut de gamme, ce sont des détails qui font la différence pour bon nombre de clients.
Sous ses yeux, le conducteur va pouvoir paramétrer quatre vues différentes en fonction de ses souhaits d’affichage. Sur l’écran vertical, il va retrouver le très bon système GPS Google Maps avec un planificateur d’itinéraire électrique. Voilà qui devrait en rassurer plus d’un ! Et comme il se trouve dans une Alpine, il dispose d’un optimisateur de conduite.
La fonction Alpine Telemetrics évolue par rapport à l’A290. Elle permet d’accéder à trois grandes catégories de services : Live Data, Coaching, Challenges. Elle inclut aussi des explications concernant le fonctionnement de l’Alpine Active Torque Vectoring. Plusieurs profils peuvent être utilisés et ils peuvent être réinitialisés.
La fonction Live Data permet l’affichage des données de conduite selon quatre thèmes différents.
- Agilité : G latéraux et longitudinaux, activation ABS/ESC, boost Overtake.
- Puissance : monitoring de l’accélération et du freinage (régénératif ou hydraulique), recharge de la batterie et potentiel boost Overtake.
- Endurance : consommation, énergie accumulée et statut de la batterie.
- Circuit : temps au tour, données de la voiture (température moteur et batterie, pression et température de pneus, température des freins, part de freinage régénératif et hydraulique, couple et régime des moteurs avant/arrière, temps en roue libre, thermo-management des 3 moteurs).
La fonction Coaching permet de consulter des conseils pour mieux appréhender son véhicule, utiliser les fonctions d’Alpine Telemetrics et progresser en pilotage. Idéal pour apprendre à son rythme, cette section (en partie optionnelle) commence par initier aux réflexes de base à adopter en conduite sportive : projection du regard, prise de trajectoire ou encore techniques de freinage. Au fur-et-à mesure de la progression, les notions abordées deviennent plus pointues, comme la gestion de la dérive. Cette partie pilotage est parfois signée du prénom des ingénieurs et pilotes de développement de l’A390, qui y délivrent leurs précieux conseils. Elle inclut des points spécifiques comme le fonctionnement de l’Alpine Active Torque Vectoring ou la gestion thermique de la batterie. Cette section évolue au fur et à mesure de la vie du véhicule.
Dernière fonction, Challenges est une suite de défis selon trois thèmes : agilité, puissance, endurance. Il s’agit d’une approche très orientée jeux vidéo avec des niveaux à passer pour progresser. Certains défis sont à relever sur route fermée (accélération, freinage, pourcentages de pédale d’accélération sur une distance donnée), tandis que les challenges d’endurance peuvent se faire sur route ouverte, aidant à apprendre l’anticipation dans sa conduite.
Vivement les essais…
On le voit, sur le papier et avant les premiers essais dynamiques, cette Alpine A390, une Alpine de nouvelle génération, semble avoir été conçue et mise au point par des ingénieurs piquousés par la compétition et par l’envie de proposer aux nouveaux clients, une expérience de pilotage différente de ce qui existe actuellement sur les véhicules électriques. Et c’est tant mieux !
Maintenant, le principal écueil de la marque va être de faire accepter aux passionnés un modèle familial, lourd et encombrant. Même si avec ce modèle, ils ne sont pas la cible ! En revanche, le père de famille qui cherche du plaisir au volant mais aussi un véhicule haut de gamme qui plus est, fabriqué en France, va devoir étudier de très près cette A390 ! Le prix ? Alpine n’a pas encore officiellement communiqué ses tarifs. On sait seulement qu’ils sont compris entre 65 000 € pour la version GT développant 400 ch et environ 76 000 € hors options pour la GTS et ses 470 chevaux. Des tarifs propres au haut de gamme et à la clientèle visée, n’en déplaise aux passionnés et aux rêveurs. Souhaitons que ces tarifs ne soient pas le frein (le prétexte ?) au développement commercial du modèle. Les premières commandes sont prévues pour la fin de l’année et les livraisons début 2026.